10 - "Comment réussir à échouer" de Paul Watslawic

Éditeur : Points
Collection : Essais
Comment réussir à échouer (1) est aussi un ouvrage de Paul Watzlawick.

Il y traite des moyens qui mènent à l'échec et les illustre avec cette plaisanterie de carabin : "opération réussie, patient décédé". On pourrait ajouter : "il est mort guéri". 
Il appelle "l'ultrasolution", la technique qui consiste à réussir à échouer, c'est à dire nier le problème ou l'ignorer.

Préface :
... Il existe  un certain type de solutions qui n'a pas encore de nom dans le langage courant. Nous avons choisi celui d'ultrasolution, qui nous a paru convenir tout à fait. Ce sont des solutions qui se débarrassent du problème, mais aussi de tout le reste - un peu comparable à la vieille plaisanterie de carabin : opération réussie, patient décédé. Seul le nom que nous proposons est donc nouveau ; l'hubris à laquelle il renvoie est connue depuis l'antiquité. J'illustrerai cette affirmation par un exemple célèbre : le destin de Macbeth.
... Hécate, la sinistre déesse des enfers ...

Tout les domaines sont concernés par cette technique d'échec (qui peut aller jusqu'à la pathologie, avec la névrose de l'échec) comme les relations conjugales, les relations de travail et toute situation ou les effets secondaires néfastes peuvent être supérieurs au bien-être espéré.

Nous sommes là aussi dans des illustrations du concept de zemblanité.

Nous pouvons appliquer cette technique d'échec à la médecine, si n'est pas évalué, dans un traitement, le rapport entre les effets bénéfiques et les effets néfastes.
Les effets secondaires d'un traitement sont-ils acceptables au regard du soin de la pathologie initiale ?
Le bon sens populaire questionnerait : le remède est-il pire que le mal ?

Dans le chapitre Ce brave monde digitalisé, Paul Watslawic illustre le concept d'ultrasolution, nous pourrions dire aussi de zemblanité, avec la télévision qui met en oeuvre "ce flux constant d'impressions affreuses"  qui entraînera  la propagation de l'inhumanité :

... autre miracle de la digitalisation : le poste de télévision. De façon surprenante, Cicéron connaissait déjà les effets du poste de télévision. En 80 avant J.-C., il écrivait :
"Si nous sommes contraints, à chaque heure, de regarder ou d'écouter d'horribles événements, ce flux constant d'impressions affreuses privera même le plus délicat d'entre nous de tout respect pour l'humanité."
Ces effets sont, bien sûr, dissimulés derrière le masque d'un large sourire inepte. Pour ce qui est de la façon dont nous nous distrayons du spectacle de la mort, Neil Postman (2) a déjà dit tout ce qu'il fallait dire à ce sujet.
Mais il faut tout de même mentionner le sociologue Jean Baudrillard qui - avec certes moins d'allant et d'humour noir que Postman - montre l'obscénité de la télévision, se rapprochant en cela davantage du propos de Cicéron. Il n'entend pas par là ce qu'on met généralement dans le mot obscène ; il veut plutôt parler de la brutalité de ce que l'on nous montre  : les bains de sang, les victimes d'accidents ou de crises violents, qui sont devenus l'élément essentiel - sinon le seul - de ce que l'on appelle les actualités, et surtout les gros plans éhontés, irrespectueux, de gens se trouvant dans des situations tragiques, désespérées, une mère près du corps de son enfant mort, le visage d'un homme qui meurt, ou les questions idiotes avec lesquelles on harcèle quelqu'un qui, venant d'échapper d'un cheveu à la mort, n'a besoin que d'une chose, qu'on le laisse tranquille.
Cet étalage de voyeurisme, ce manque du plus élémentaire respect pour la souffrance humaine et la vie privée des individus méritent en effet d'être qualifiés d'obscènes (en particulier quand ils sont suivis par la musique imbécile d'un publicité pour des cigarettes). 
Mais, bien sûr, nous savons et apprécions tous le fait que les médias essaient de cette façon d'accomplir leur sublime et démocratique mission de tenir le citoyen complètement informé ... 
Et, pour cette raison, toute l'affaire se prête on ne peut mieux à l'implantation d'ultrasolutions dans des centaines de millions de cerveaux.

On pourrait ajouter les jeux numériques qui préparent et entraînent les nouvelles générations à l'ultra-violence, à la guerre, au meurtre, au mépris de la vie humaine et de la nature.

Paul Watslawic nous donne, ou rappelle, deux concepts proches de la zemblanité : son ultrasolution et l'hubris des grecs anciens.

(1) Éditeur : Points (2 mai 2014) Collection : Points Essais ISBN-10 : 2757841815
(2) Neil Postman : Amusing Ourselves to Death (Amusez-vous du spectacle de la mort) New York, édition Viking, 1984.


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